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Raw Blame History

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Contes

Dans un pays, à une époque qui pouvait aussi bien être il y a très longtemps que demain, vivait une petite fille. Cétait une enfant qui vivait comme les autres. Elle avait ses joies et ses peurs, elle était curieuse et aimait découvrir de nouvelles histoires. Parfois il y avait des héros, parfois des gens ordinaires. Parfois elles faisaient peur, parfois elles faisaient rire.

Tous les soirs, ses parents lui racontaient une nouvelle histoire. Tous les jours, elle en découvrait une nouvelle par elle-même. Et elle adorait en inventer.

 

La vie semblait belle.

 

Mais un jour, la petite fille tomba malade. Et personne ne put y faire quoi que ce soit. Elle saffaiblissait de jour en jour, pouvait de moins en moins manger. Et elle neut le droit à nul miracle. Ses parents la savaient condamné, mais pour atténuer sa souffrance, tous les jours ils allaient la voir. Lui faire penser à autre chose. Pendant un instant, sévader. Sortir de sa vie. Masquer leur propre douleur pour apporter du réconfort. Elle aussi, pendant ces moments, faisait en sorte de sourire le plus possible. Masquer ses propres peur pour apporter du réconfort.

Et un soir, pendant son sommeil, elle séteignit. Cétait la fin dune histoire. Ses parents restèrent longtemps malheureux, mais se relevèrent et continuèrent à avancer dans leur vie. Avec un manque qui resterait.

Mais ils ne sarrêtèrent pas de marcher.

 

Quant à la petite fille, sa première histoire était finie, mais une autre allait commencer. Elle se réveilla. Dans un monde entièrement vide. Enfin non. Une grande plaine désertique sétendait jusquà lhorizon. Un ciel, bleu, sans nuage, mais il ny avait pas le moindre soleil. Elle était toute seule. Il faisait froid. Elle avait peur.

Elle commença à courir, pour savoir où elle était. Où étaient ses parents. Elle ne se demandait pas pourquoi elle avait dun seul coup la force de marcher. Elle ne se demandait pas pourquoi elle nétait plus faible. Elle était trop perdue pour se poser de telles questions, elle voulait retrouver ses parents. Elle courut jusquà être épuisé. Seule ses traces de pas lui prouvait quelle navait pas fait du surplace. Lhorizon était toujours aussi désespérément vide. Rien ne pouvait lui servir de repère.

Elle était perdue dans un monde infiniment plat et vide.

 

Jamais la petite fille ne sut combien de temps elle avait couru. Des heures, des jours, des semaines ? Le ciel était constamment clair, sans astre pour repérer le temps. Tout ce quelle savait, cest quelle navait plus dénergie. Elle avait faim. Elle avait soif. Elle se laissa retomber sur le sol, et souhaita juste pouvoir manger et boire.

Elle sendormit.

 

À son réveil, un arbre se trouvait juste à côté delle. Des fruits dodus et juteux y avaient poussé. Était-ce arrivé pendant quelle avait dormi ? Oubliant toute prudence, elle prit un des fruits et mordit dedans. Il était bon. Elle en mangea jusquà ne plus rien pouvoir avaler, se laissant tomber. Elle regarda le ciel. Il était toujours aussi vide. Tout autant que son esprit. Elle narrivait même plus à se poser de questions. Elle nétait pas sûre de la réalité de tout ce qui se passait.

Elle ne pouvait plus faire quune chose face à tout cela. Se lever. Et marcher. Marcher jusquà ce quelle trouve des réponses ou de la vie. Marcher jusquà ce que ce monde ne soit plus la plaine déserte et vaste quelle voyait jusquà lhorizon. Marcher jusquà ce quelle ne puisse plus le faire. Elle ne savait ni ou elle était, ni pourquoi elle y était.

 

Mais déjà quelques idées venaient dans sa tête. Elle se souvenait de ses derniers instants, avant de sendormir. Des pleurs. Des bruits de lhôpital.

Et si elle ne sétait pas simplement endormi ? Et si lexpression « sommeil éternelle » était exact, et quelle vivrait désormais dans un rêve définitif ? Elle était effrayée comme elle ne lavait jamais été. Elle comprenait quelle ne reverrait jamais ses parents. Elle était seule. Et comme ce monde était vide, ne risquait-elle pas de lêtre à tout jamais ?

 

Les larmes aux yeux, elle regarda ses mains, puis larbre devant elle. Un fol espoir salluma.

 

Et si larbre nétait pas apparu par miracle ? Et si elle était celle qui lavait fait apparaître ? Peut-être alors quelle aurait la capacité de ne pas rester toute seule. Alors elle se concentra.

Elle regardait devant elle. Elle savait ce quelle voulait créer : Un portail vers là ou se trouvait ses parents. Vers son monde originel. Elle se concentra. Elle limaginait comme dimmense portes, entièrement en or et en joyaux. Une sorte de membrane liquide. Quand elle traverserait cette membrane, elle se retrouverait dans son monde dorigine, et pourrait parler à ses parents. Lorsquelle ouvrit les yeux, la porte était devant elle. Majestueuse et monumentale, elle surplombait toute la pleine. La petite fille sélança, fondit dans le portail pour rejoindre ses parents.

Mais rien ne se passa.

 

Il était impossible de sortir du monde dans lequel elle se trouvait, elle était désormais enfermée dans sa monade, son monde intérieur.

 

Effondrée par le chagrin, elle songea un instant à créer des copies conformes de ses parents, pour pouvoir plonger dans leur bras et pleurer… Mais malgré la douleur que ça lui causait, elle sy refusa : Ses parents étaient irremplaçables, elle ne pouvait en créer des copies pour tenter de les retrouver. Parce quelle ne les retrouverait pas.

Et elle avait presque limpression que faire cela serait les trahir, trahir ses vrai parents qui, dans son monde dorigine, étaient en train de la pleurer. Après tout ce quils avaient fait pour elle, elle navait pas le droit de les trahir, pensait-elle.

 

Elle ne sut jamais combien de temps elle resta seule, à vaguement manger les fruits des arbres quand elle avait trop fin, et à tester mollement ses nouveaux pouvoirs. Parfois elle créait des statues à leffigie de ses parents. Mais généralement les détruisait à cause de la colère et du chagrin.

Elle restait seule parce quelle ne voulait voir personne dautre que ses vrais parents, et se refusa pendant longtemps à créer le moindre autre être vivant.

 

Ce nest quau bout dun moment que la solitude la pesa trop, quelle se mis à vouloir vraiment voir des gens. Nimporte qui. Dautres êtres humains.. Elle ferma les yeux et laissa son esprit semplir de toute sa volonté. Cétait comme si elle savait au fond delle quelle devait utiliser tout ce quelle pouvait pour voir ce quelle voyait. Elle se souvenait de ce rêve étrange quelle avait fait, il y a longtemps. Celui ou elle savait quelle rêvait, et quelle avait pu prendre contrôle des événements.

Elle voulait être dans une ville, comme cette ville médiévale quelle avait visitée avec ses parents, il y a quelques années. Une ville pleine dactivité et de festivité. Elle voulait revoir la vie.

 

Elle ouvrit des yeux émerveillés en voyant la ville peuplée et pleine de vie qui sétendait devant ses yeux. Les gens sesclaffaient et senvoyait des grandes claques dans le dos. Elle était dans une de ces villes idéalisés des livres de sa petite enfance. Quelque chose de vaguement médiéval et utopique à la fois. Ou les rois étaient bons, et ou le mal nétait pas le fruit de systèmes complexes et de personnes malveillantes, mais de grands méchants flamboyants vêtu dun grand manteau sombre. Le souvenir rassurant danciennes histoires de son enfance, souvenir qui lui réchauffait le cœur et consolait un peu son chagrin.

Elle courrait dans la ville, elle mangea des parts dénormes gâteaux qui étaient présentés pour la fête, elle regarda les spectacles des saltimbanques. Elle samusait comme une petite folle, elle navait pas vu le moindre autre être humain depuis des temps si longtemps.. Cétait plein dune vie quelle pensait ne jamais revoir. Les gens étaient heureux et samusaient. Elle était chez les gentils.

Cétait un monde simpliste, mais qui la rassurait. Elle se mit alors à parcourir la grande plaine. Elle la sectionna en un nombre incroyable dîles flottante. Elle navait pas à craindre les questions scientifiques de gravité, tous ce genre de chose : Ces règles nétaient pas celles de son univers. Elle fit naître une nature chatoyante, des animaux fantastiques. Certains venaient de ce quelle avait lu, et dautres étaient reconstruits à partir de bout danimaux de son monde à partir de ses souvenirs et de ses connaissances naissait un nouveau monde.

Dans le ciel, des centaines de petites étoiles éclairait les îles flottantes. Dimmense boules de feu en suspensions, qui cessait étrangement de briller fort pour la nuit, ne lassant quune luisance rougeoyante permanente, telle une sorte de veilleuse pour lenfant qui avait peur du noir. Elles offraient la vie, telles les fruits de larbre quavait fait pousser en premier la jeune enfant. Elle créa des peuples gouvernés par des reines et rois sages et justes, aux chevalières et chevaliers dotés de courages et de compassions, prêt à aider tous. Ils étaient bien sûrs dotés de défauts, mais cétait comme si la sensation que de véritables personnes allaient vivre dans ce monde lui donnait envie de créer une utopie.

 

Elle ne savait pas quelle ne jouait que dune certaine manière son rôle dans le cycle de perpétuation des univers. Elle ne savait pas que toute sa vie avait préparé par inadvertance ce moment, que chacun des souvenirs, de ces expériences en avait fait une personne unique, qui serait à lorigine dun monde unique. Ça navait été écrit nulle part. Ce nétait aucun destin qui avait décidé ça. Ce nétait pas dans les règles du multivers que les êtres dotés dintelligences étaient à lorigine des mondes suivant. Ce nétait quun épiphénomène qui faisait office de cosmogonie. Une sorte de coup de bol transcendant. Quun effet secondaire de la capacité dimaginé, davoir des mondes à lintérieur de sa tête.

Tout le monde est démiurge ; ce nest quun hasard. Un jour, un être capable de penser et de se tromper, de raisonner et de déraisonner, daimer et de détester était mort. Ce jour-là, lœuf quil était avait éclos dans un nouveau monde, qui prenait sa place dans linfinité du multivers. Son monde intérieur était devenu monde extérieur.

Rapidement, elle remarqua que son monde nétait pas infini : Elle retourna au point de départ.

 

Larbre.

 

Au bout de quelques années, de quelques siècles à observer tous son univers, elle commença à se lasser. Elle avait limpression que tout se répéter, et une langueur envahissait son âme. Que pouvait-elle trouver pour samuser dans ce monde parfait ? Elle sennuyait de plus en plus, et avec lennui, le chagrin et la colère revint. Elle avait tout fait pour oublier pendant des années quelle avait perdues ses parents, et à quel point ils lui manquaient. Mais maintenant, elle ne pouvait plus fuir en avant. Et ce monde stupide lui refusait de les revoir !

Elle se mit en colère. Ce monde était sa création, elle y avait des pouvoirs fantastiques, et un simple petit portail lui était refusé ? Elle voulait revoir ses parents, cétait si compliqué pour ce fichu monde ?

 

Le mal à toujours des origines diverses suivants les mondes. Parfois il sagit de quelque chose de complexe, et de pas vraiment explicable, qui peut venir de lambition, ou de la sensation de puissance quéprouvent certaines personnes à écraser les autres. Parfois, il sagit dune force pernicieuse de la nature. Parfois cest inscrit profondément dans la nature humaine. Parfois cest lexception, parfois cest la règle.

Ici, il sagissait de lennui et de la douleur dune enfant qui navait jamais demandé davoir le rôle de divinité, qui n'avait jamais mérité de subir une telle responsabilité. Dune enfant qui tentait de compenser le fait que ses parents lui manquait par le fait de créer, toujours plus créer. Il sagissait du chagrin dune petite fille qui ne pourrait jamais revoir ses parents. De sa colère face à sa propre impuissance à changer ce qui la rendait malheureuse.

Comme si elle sétait amusé à détruire un château de sable quelle avait construit, elle introduisit le mal et les ténèbres dans son monde.

Des milliers desprits maléfiques, issues de ses siècles didées noirs et dennui.

 

La petite fille eut un moment de culpabilité. Mais face à lexcitation quil se passe enfin quelque chose, et encore sous le coup de sa colère, de son sentiment dinjustice, elle la mit de côté : ce fichu monde lui apporterait au moins un peu dintérêt ! Alors naquit lOrdre des Exorcistes, quelle participa elle-même à fonder en secret, qui devait se battre contre ces spectres. La guerre fut longue et rude, mais les spectres furent vaincus. De nombreuses familles dexorcistes devinrent puissante dans les royaumes. Ils renversèrent parfois des rois. Était-ce pour mieux protéger le monde ou simplement par ambition ? Les exactions de nombreuses familles semblaient montrer quil sagissait de la seconde chose.

Alors des rébellions se formèrent. Alors, lassés des abus des exorcistes, les peuples se révoltèrent contre leur règne. La guerre à nouveau gronda. Cette fois, elle fut pour la liberté. La jeune fille qui courrait à travers les batailles, invisible et intangible aux combattants, samusait comme jamais elle ne sétait amusé. Des héros, des méchants. Parfois des combats tragiques de héros contre dautres héros.

Les batailles pouvaient durer des jours. La pluie sabattait sur les corps vide de vie après que les forces sétaient affronté. Certaines familles profitaient de la situation pour gagner encore plus de pouvoir en jouant un peu dans les deux camps, faisant courbettes face aux exorcistes avant dexalter dautres royaumes à prendre les armes contre eux. Les conspirations et les coups détats étaient pour la jeune fille passionnant à suivre. Est-ce que ce double jeu allait se retourner contre tel noble ? Est-ce quil allait subir les conséquences de ses actes ? La guerre se termina après un dernier duel, et un arrangement donna aux exorcistes des titres important, mais leur retira en grande partie le pouvoir politique.

La petite déesse malgré elle fut contente : Une fin heureuse pour une histoire épique de guerre, de trahisons et de complots.

 

Mais le lendemain, en marchant à travers les villes, elle comprit que les flammes quelle voyait et qui brûlaient encore des batailles de la veille étaient bien réelles. Que laction qui lamusait tant était la mort de centaines de milliers de personnes. Que les souffrances nétaient pas celles quelle aurait vu dans un conte. Elle vit les ruines. Elle vit les pleurs, elle vit les villages qui brûlaient.

Avant, elle navait regardé que les batailles de haut. Parfois, elle avait plongé au cœur de laction, senivrant dadrénaline. Mais maintenant quelle était dans le calme, dans les villes, elle ne voyait que les conséquences de cette guerre. Les conspirations lui semblait moins passionnante maintenant quelle voyait ce que cela avait produit sur le monde quelle avait créé… Et quelle avait participé à détruire. Et que la fin heureuse quelle avait imaginée nétait que pour bien des gens quheureuse dans ce quelle napporterait pas encore plus de malheur.

Alors la jeune fille sarrêta de marcher. Peut-être avait-elle trop agi sur ce monde ? Elle ne pouvait pas détacher les yeux de ce malheur. Tout ce quelle avait pu imaginer dans ses histoires, elle se rendait compte quelle ne pouvait pas le souhaiter pour le monde réel. Que les grandes guerres épiques nétaient pas si appréciables quand elle se passait dans un vrai monde. Que les fins heureuses nétaient pas si heureuses quand on changeait de point de vue.

Un écrivain ne peut pas être maître du monde, de la réalité.

 

Elle songea à effacer tous ses actes. Mais étrangement, alors quelle avait pu tout créer par avant, cette fois, son contrôle lui fut retiré. Était-ce une punition face à ce quelle avait fait, ou était-ce son propre sentiment de culpabilité qui lui interdisait deffacer ses erreurs dun geste de la main ? Comme si elle navait pas le droit de tenter de faire croire que rien de ceci nétait arrivé. Son monde idyllique nétait plus. Il avait été remplacé dans un monde ou la méfiance régnait et le conflit menaçait déclater à nouveau.

Elle prit alors la décision de se retirer du monde. Pour aller réfléchir. Pour méditer, et pour retourner à une vie normale. Elle créa un bâtiment, une simple maison. La copie exacte de celle quelle avait eut à lépoque ou elle était encore en vie. Elle protégea sa maison, pour éviter que des personnes mal intentionnée entrent chez elles.

Sur le pas de sa porte, elle regardait les différentes îles flottantes. Elle soupira. Cétait son monde, mais elle se sentait coupable de tout ce qui était arrivé. Et coupable elle était. Elle ne se sentait pas le droit de réparer ses erreurs. Où peut-être avait-elle peur ? Peut-être était-ce impossible de bien réagir à une telle culpabilité, la culpabilité davoir semé conflits et morts, encore plus quand on était encore enfant ? Elle se retourna, entra dans la maison.

Et ainsi la créatrice du monde senferma, décidant de tourner le dos à tout ce quelle avait construit.

 

Tel est le mythe de lenfant qui marcha.

 

Tel est le mythe de la création de notre monde, du Grand Archipel.

 

Telle est la tragédie qui fit naître le monde dans lequel on vit : Celle dêtre né dune créatrice trop jeune pour endosser une telle responsabilité.