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Autres

Une pièce blanche. Aseptisée. Entièrement vide. Une moquette tout aussi pâle, et des murs qui ne revêtent pas plus de couleurs. Pas de doute, jy suis de retour. Je prends une chaise en attendant son arrivée. Il ne devrait pas tarder. Je massieds, et regarde le vide des murs. Dans un lieu qui nexiste pas, une longue attente hors du temps dune personne qui nexiste pas. Pour patienter, je prends un magazine et un petit gâteau.

Il finit par arriver. Mon Némésis, mon meilleur ami. Mon oppresseur, ma victime. Celui qui toujours veut me chasser, celui qui toujours cherche à me retrouver. Celui qui me console, celui qui mhumilie. Celui qui veut voir mes couples seffondrer, celui qui me donne des conseils pour aider les personnes que jaime. Celui qui excite ma rage, celui qui la tempère.

Ma conscience, mon démon intérieur.

 

— Cher monsieur, commençait-il, vêtu dun costard. Je vous ai fait quérir dans mon bureau parce quil faut quon parle dun sujet très important.

 

Je massieds sur la chaise, lui est bien enfoncé dans son confortable fauteuil, dos à la fenêtre. Derrière lui, une superbe vue sur la ville et ses multiples lumières, ce tableau étrange composé de taches de couleurs sur un fond noir.

 

— Es-tu bien certain que tout dans ta vie est bien réelle ? Me demande-t-il avec un air sérieux à travers ses lunettes.

 

Je fronce les sourcils. Où est-ce quil veut en venir ? Je ne suis pas certain de comprendre quel est son but.

 

— Comment te dire… Je pense quil doit y avoir quelque chose qui nest pas normal dans tout ce qui se passe. Je regarde tes notes, je regarde ta situation, je regarde ton nombre damis… Cest vraiment pas mal. Mais quand je vois ensuite ton investissement dans tout ça… Ya comme un truc qui colle pas.

 

Il se penche un peu plus vers moi, comme pour mexaminer du mieux quil peut.

 

— En effet, notre conférence daujourdhui portera sur ce sujet très important. Est-ce que le monde existe ou nest quune illusion ? Cette question est très intéressante aux vues de la polysémie du mot « monde ».

 

Je suivais la conférence, dans mon siège de lamphithéâtre miteux ou jai eut une partie de mes cours, à une époque qui me semble étrangement lointaine. Il me faisait face, jétais son seul public. Autour de moi, les sièges nétaient pas vides, mais plein dombres sans visage.

 

— En effet, si le monde peut rapporter à la réalité physico-mathématique où lon vit, il peut également sagir dun sens plus « mondain », si je puis me permettre. Il peut en effet sagir de la société humaine dans laquelle nous évoluons, où quelque chose de plus proche comme notre cercle damis.

 

Il fit quelques pas, au centre de sa scène. Il était dans le feu des projecteurs. Il a toujours aimé ça.

 

— Lune des premières particularités de lhumain, cest sa tendance au mensonge. En effet, en tant quune des seules espèces intelligente, lhumain à ce pouvoir de mentir. La « guerre juste », « tous les hommes naissent libre et égaux ». Toute la base de lhumanité est le mensonge : En effet, après avoir mordu le fruit originel, Adam et Ève saperçoivent de leur nudité, et en ont honte. Cest la genèse qui nous montre le premier mensonge, qui naît avec larrivée de lhumanité : Le fait de cacher sa nudité.

— En effet, regarde le monde autour de toi ! Regarde tous ces mensonges qui remplissent notre réalité ! Regarde tous ces faux-semblants. Quest-ce qui te prouve que quand toi tu penses que cest vrai, ça lest, hein ?

 

Terrassé par le coup de poing quil venait de massener en pleine figure, je vins maplatir contre le bitume de la cours. Quest-ce qui mavait pris daccepter de me battre, je savais pourtant que je navais jamais été fait pour ça.

 

— Quest-ce que tu te fais dire que tout ce quon ta dit et que tu considères comme vrai, ça lest ? Des mensonges, tu en as eut des tas ! Mais encore et toujours, tu te raccroches sottement à lespoir que dans le lot, il y ait quelques trucs vrais.

 

Il mattrapa par le col, et me souleva. Je vis dans ses yeux les reflets des miens.

 

— Parce que lautre possibilité te fait peur.

 

On est de retour dans la salle blanche. Il était face à moi. Plus de mise en scène grotesque. Plus de saut du coq à lâne. Il ne faisait quune petite introduction pour en venir à son sujet. Nous étions toujours dans la même position que précédemment. Il attendit un moment.

 

— Parce que lautre possibilité, cest quen fait, tous ce quon ta dit est faux.

 

Il me relâcha. Je fis quelques pas pour méloigner de lui… Mais je ne pouvais pas fuir.

 

— Regarde un peu autour de toi, et surtout la vérité en face. Regarde cette fable que tu appelles la vie, et ose me dire encore un peu quelle ait un sens. Et donne-moi le sens des gens qui sont morts. Et donne-moi les preuves que les mots quon te dit sont sincères. Donne-moi les preuves que tous ne roulent pas les yeux dès que tu ne tes pas éloigné, avec toutes les conneries que tu dis. Avec toutes les fois où tu te donnes toi-même des défis que jamais personne tas demandé de relever, pour les foirer lamentablement devant tout le monde.

 

Jessaie de préparer mes mots pour lui répondre. Il suffit de trouver les bons mots, et je peux le faire partir.

 

— Et je ne peux pas simplement les croire. Je tiens à eux, et je sais quils tiennent à moi. La confiance, cest un peu la base de tout ça ? Si je commence à être paranoïaque et croire que tout le monde me veut du mal, ça ne va pas le faire.

 

Il fit quelques pas. Il rigolait. Je déteste quand il fait ça.

 

— Parce que tu crois que cest par méchanceté quon ment ? Tu irais dire à quelquun de pathétique quil lest, pour lenfoncer encore plus ? Tu irais lui dire à quel point il est mauvais ? Où tu préférerais pas lui mentir, pour éviter de lui faire du mal ?

— Les choix ne se limitent pas à ça, ménervais-je ! Déjà, primo, personne nest « pathétique », on peut être positif ! Tu crois que jai pas assez potassé la positivité et tout ? Suffit davoir la bonne tournure desprit, ce nest pas du mensonge.

 

Un sourire amusé.

 

— Sérieux, le coup larmoyant de léducateur positif. « Regardez-moi, comme je suis le grand chevalier pourfendeur de la croyance en la hiérarchie, regardez comme je suis un saint qui jamais nirais juger quelquun comme en dessous de lui ». Tas besoin que je te fasse les flashback de toutes les fois où tu as pensé ce genre de chose ?

 

Il marqua un temps.

 

— Et puis, combien même ce ne serait pas le cas sur le cas… Les raisons de soupirer cest pas juste de croire que quelquun est « pathétique » ou « ridicule ». Voici les autres cas : Il peut être agaçant, insupportable. Il peut donner des envies de le baffer… Mais on est bien obligé de le supporter, donc on prend sur nous.

 

Il pointa du doigt, victorieux.

 

— Ce genre de mensonges, ceux que tu as entendu par le passé, ceux que tu as vu quand tu as découvert que le monde était une grande boucherie sans aucun sens… Tout cela remonte au père noël ! Le monde est un grand tas de mensonges, auquel tu contribueras à chaque fois que tu feras croire à quelquun quil a de limportance, que sa vie sert à quelque chose…

Pense à tous ces détails douteux, à tout ce qui ne colle pas dans ta vie par rapport à ce que tu mériterais. Pense à tout ce qui est trop beau.

 

Il me fait face, enfoncé dans son fauteuil

 

— Pense aux mensonges de lhumanité. Pense à toutes les « guerres justes » commises à coup de bombe sur des villes.

 

Il me fait face, éclairé par les projecteurs sur lestrade.

 

— Pense aux doutes qui thabite, pense à toutes ces fois où tu nas pas compris pourquoi on pouvait taccepter.

 

Il me surplombe, tandis que jessaie de me relever, étalé sur le bitume.

 

— Pense à tous ceux qui vont devoir supporter le fait de chuter après avoir cru que leur vie avait un sens, comptait pour quelquun.

 

Il me domine, dans une pièce blanche, aseptisée et entièrement vide.

 

— Ce nest quen acceptant labsence de vérité que tu pourrais apprendre la véritable paix intérieur : tout est faux, donc je ne dois plus me préoccuper de tout ça.

 

Un blanc. Je ne sais pas quoi dire. Je prends une inspiration.

 

« Peut-être que la vie na aucun sens. Peut-être quon est juste quun amas datome qui font des réactions cheloues entre eux. Peut-être quil y a des tas de trucs qui sont « trop beaux ». Peut-être que le monde est bourré de mensonge. Peut-être quil y a des tas de gens qui me déteste, en fait. Peut-être. Et peut-être que non. Cependant… Il existe quelque chose qui à un sens dans tout ça.

Ou plutôt, il y a quelque chose qui a encore moins de sens : toutes ces questions. En fin de compte, si la vérité nexiste pas, est-ce que le mensonge peut exister ? Si tout est mensonge, alors, est-ce que la réalité nest pas lensemble de fausse vérité dans laquelle on nage, ce qui leur donne une réalité. La nôtre. Parce quon existe dedans.

Peut-être que tu as raisons, et que je devrais croire en rien. Mais où serait le but. Quest-ce que douter de tout mapporterait en plus, à part le fait de me questionner sans arrêt encore plus ? Remplacer la question « est-ce que cest faux » par « quest-ce qui est faux là-dedans » napporte pas la paix de lâme. Elle napporte quencore plus de désarrois. Elle remplace lappréhension du coup de poignard, par celle de quel organe sera transpercé par le poignard. Elle remplace la crainte par la terreur permanente, elle remplace lespoir du bonheur par une vague espérance que ça ne fera pas trop mal. Elle remplace le risque de voir sa confiance trahie par la solitude de ne pouvoir l'accorder.

Pour répondre à ta question : Je ne sais pas si le monde existe vraiment, si ya quoi que ce soit de vrai. Voilà ton aporie. Peut-être que tout est faux, peut-être que ya des trucs vrai. Je ne sais pas. Peut-être que tout est faux, et cest pour ça que je veux tenter de vivre ma vie comme je lentends moi, et en croyant à ceux autour de moi.

Cependant, voilà la véritable réponse : En fait, ce nest pas quon a la réponse, cest quon a pas trop le choix. »

 

Et je referme le rideau.